Olivier Ledru, avocat au barreau de Paris

30Mar

Contrefaçon de logiciel – l’importance de la divulgation et les risques d’une action imprudente et téméraire

Tribunal judiciaire de Paris, 2ème sec., 25 novembre 2022

Une société éditrice de logiciel pour la métallurgie avait cru pouvoir agir en contrefaçon de droits d’auteur de logiciels, contrefaçon de marques et à l’encontre d’une société concurrente créée par deux de ses anciens salariés.

L’action de toute évidence mal préparée et engagée de façon aventureuse aboutit non seulement au débouté de la demanderesse mais en outre à sa condamnation sur le fondement de la concurrence déloyale et de la procédure abusive.

  • Sur la titularité des droits et les mentions apposées lors de la divulgation du logiciel

La demanderesse revendiquait, en qualité d’employeur, la propriété du logiciel litigieux développés par ses anciens salariés devenus concurrents.

Le Tribunal rappelle qu’en application des articles L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle « L’auteur, du seul fait de sa création jouit d’un droit de propriété sur celle-ci » et que l’article L. 113-1 du même code établit une présomption de qualité d’auteur à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée (« La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée »).

Il rappelle également qu’en application de l’article L. 113-9, alinéa1, du code de la propriété intellectuelle dispose : « Sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur qui est seul habilité à les exercer ».

Or, la procédure a révélé que, sur les versions du logiciel qu’elle produit aux débats, la demanderesse n’est pas mentionnée comme titulaire. C’est en effet une autre entité qui est mentionnée au titre des « droits réservés », mention qui est renforcée par la présence du signe ©, pour copyright (notion qui pourtant est, comme le rappelle le tribunal, étrangère au droit français).

En application de la présomption de l’article L. 113-1 susvisé, le Tribunal en déduit que la demanderesse ne démontre être titulaire des droits d’auteur sur logiciel et la déboute donc de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur (à titre superfétatoire, le Tribunal estime que ni les actes de contrefaçon, ni le parasitisme ne sont démontrés).

Ce jugement rappelle donc utilement les règles applicables en matière de titularité de droit d’auteur et l’importance qu’il convient d’apporter aux mentions sous lesquelles le logiciel, comme toute autre création, est divulgué.

  • Sur la condamnation d’un comportement déloyal et d’une action jugée abusive

Cette décision est remarquable en ce qu’elle sanctionne lourdement une action en contrefaçon sans doute engagée de façon téméraire et imprudente.

Le dénigrement, rappelle le tribunal, consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié ; il se distingue de la critique dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier.

En l’espèce, parallèlement aux actions judiciaires mises en œuvre, la demanderesse avait diffusé un communiqué (intitulée “Détournement et contrefaçon des droits de propriété intellectuelle ») dans lequel elle présentait comme acquis en justice le principe d’une contrefaçon, sans user du conditionnel, seul l’adjectif « potentiel » venant nuancer légèrement le propos.

Dans ce même communiqué, elle tentait également de dissuader ses destinataires de poursuivre leurs relations avec la société concurrente et donc de déstabiliser celle-ci en lui faisant perdre la clientèle d’acteurs majeurs du secteur.

Selon le tribunal, un tel procédé peut être qualifié de dénigrement et s’écarte des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires.

Mais la demanderesse est également sanctionnée pour son comportement dans le cadre de la procédure elle-même.

Si le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales, le tribunal rappelle que ce droit est susceptible de dégénérer en abus.

En l’espèce, si la déloyauté avait été écartée au stade de la requête en saisie-contrefaçon, le tribunal estime cependant que celle-ci a été pratiquée sans fondements sérieux et constate surtout que l’existence de la procédure a été aussitôt communiquée, sans prudence ni réserve, aux clients communs des deux sociétés.

Le Tribunal juge également sévèrement l’attitude de la demanderesse en cours d’instance qui « outre de nombreux jugements de valeur négatifs, et en dépit des maigres résultats de la saisie-contrefaçon, a soutenu péremptoirement des arguments dont elle ne pouvait ignorer la faiblesse et qu’elle s’est dispensée de démontrer techniquement à l’appui de demandes financières considérables (des millions d’euros de dommages et intérêts et des astreintes élevées, sans la moindre pièce attestant des dommages allégués) et l’interdiction pure et simple pour [sa concurrente] d’exercer [ses] activités ».

Est ici sanctionnée la faiblesse des arguments développés au regard des demandes considérables formulées par la demanderesse.

Le tribunal observe au surplus que la demanderesse a rejeté sans contreproposition une offre transactionnelle et s’est déclarée défavorable à une mesure de médiation.

Ces éléments, estime le tribunal, caractérisent ensemble une intention de nuire et de détourner le but de l’action en justice, faisant dégénérer celle-ci en abus du droit d’agir.

La sanction est lourde puisque la demanderesse imprudente est ici condamnée à payer à sa concurrente 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, 20.000 euros pour procédure abusive et 40.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Cette décision rappelle que c’est la prudence qui doit prévaloir en amont de toute action en contrefaçon tant en ce qui concerne les moyens de preuve qu’il convient de se préconstituer qu’en ce qui concerne les arguments invoqués, qui devront être sérieux et étayés, ainsi que la nature et le montant des demandes, qui devront rester proportionnées et raisonnables.