Olivier Ledru, avocat au barreau de Paris

10Nov

CA Paris, Pôle 5 – Chambre 2 ; 10 novembre 2023

La Cour d’appel de Paris vient de rendre un arrêt important concernant la détermination du ou des auteurs d’une interview filmée.

Dans cette espèce, une réalisatrice avait intégré dans son film documentaire plusieurs extraits d’interviews qui avait été réalisées plusieurs années auparavant par une autre réalisatrice.

Cette dernière a engagé contre le producteur du film une action en contrefaçon que le Tribunal avait déclaré irrecevable au motif que la réalisatrice des interviews ne serait, au mieux, que co-autrice aux côtés de la personne interviewée. Le Tribunal considérait donc que la mise en cause des ayants droits de cette « co-autrice » était une condition de recevabilité de l’action (article L 113-3 du Code de la propriété intellectuelle).

La Cour a fort logiquement infirmé cette décision et a donc refusé de reconnaître à l’interviewée la qualité de co-autrice (qualité que cette dernière n’avait au demeurant jamais revendiquée de son vivant).

La motivation de l’arrêt est particulièrement éclairante et rassurera à n’en pas douter les auteurs d’œuvres documentaires audiovisuelles.

Selon la Cour, « les propos de l’interviewée, aussi personnels soient ils, ne sauraient lui conférer la qualité d’auteur puisque c’est le propre de l’interview que de permettre à la personne interrogée de donner des réponses aux questions posées ; la qualité et l’intérêt des réponses données n’étant pas en cause ici ».

La Cour relève en outre que le producteur qui contestait la recevabilité de l’action n’apporte aucune preuve de la participation de l’interviewée à la conception, la préparation, la direction, ou la réalisation des entretiens filmés.

Selon la Cour, l’interviewée n’a donc pas la qualité d’autrice de l’interview du seul fait qu’elle accepte de répondre aux questions qui lui sont posées sauf à démontrer son apport personnel à la conception, la préparation, la direction ou la réalisation de ces entretiens.

La Cour consacre en outre la qualité d’autrice de l’« intervieweuse ayant mené, selon [ses] propres choix et connaissance de l’œuvre de [l’interviewée], les entretiens donnant à ceux-ci une tournure, une conception et une impression d’ensemble empreinte de [sa] personnalité ».

Une décision inverse fragiliserait inévitablement la situation juridique des nombreuses œuvres documentaires intégrant des entretiens filmés et dont les droits pourraient alors être remis en cause par les personnes interviewées.

Cet arrêt confirme fort logiquement la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel de Paris qui n’avait accepté de reconnaître à Léo FERRE la qualité de co-auteur d’une interview  à laquelle il avait accepté de se livrer qu’après avoir constaté qu’il avait pris part à la conception de l’interview en participant à une séance de préparation et en contribuant à l’élaboration d’un plan sommaire, à la définition des thèmes abordés ainsi qu’à la mise en spectacle des entretiens (CA Paris – Pôle 5 Chambre 2 ; 6 septembre 2013 n°11/02303)