Cour de cassation, 1ère Civ. 15 octobre 2025
Un entretien filmé constitue, en tant que tel, une œuvre protégée par le droit d’auteur dès lors qu’il revêt une forme originale et la personne interrogée ne peut se voir reconnaître la qualité de coauteur qu’à la condition qu’il soit démontré qu’elle a contribué à l’originalité de cette œuvre.
Dans le cadre d’un travail de préparation de sa thèse de doctorat sur « le cinéma et la vidéo saisis par le féminisme en France de 1968 à 1981 » et consacrée à l’histoire du groupe « Insoumuses », Mme FLECKINGER a réalisé plusieurs entretiens filmés avec la vidéaste Carole ROUSSOPOULOS.
La société LES PRODUCTIONS CINEMANTOGRAPHIQUE DES FILMS DE LA BUTTE a produit un film documentaire intitulé « Delphine et Carole, insoumuses », relatant la relation d’amitié entre la comédienne Delphine SEYRIG et Carole ROUSSOPOULOS.
Ce film est structuré autour de plusieurs extraits des entretiens filmés réalisés par Mme FLECKINGER laquelle a donc agit en contrefaçon de ses droits d’auteur.
La société productrice du documentaire incriminé contestait, à titre principal, la recevabilité de l’action, en invoquant la qualité de coautrice de la personne interviewée (Madame Carole ROUSSOPOULOS) et en contestant, à titre subsidiaire, la qualité d’autrice de Mme FLECKINGER.
Par une décision en date du 10 novembre 2023, la Cour d’appel de Paris avait reconnu à Madame FLECKINGER la qualité de seule autrice des entretiens filmés et donc refusé de reconnaître à l’interviewée la qualité de co-autrice (qualité que cette dernière n’avait au demeurant jamais revendiquée !).
Par sa décision de rejet en date du 15 octobre 2025, la Cour de cassation vient donc réaffirmer, fort heureusement et fort logiquement, le droit exclusif du réalisateur sur une interview filmé sauf, pour l’interviewé.e, à démonter qu’il ou elle a contribué à l’originalité de l’interview.
- Un entretien filmé constitue en tant que tel une création protégée par le droit d’auteur dès lors qu’il revêt une forme originale ;
- La personne interrogée ne peut se voir reconnaître la qualité de coauteur qu’à la condition qu’il soit démontré qu’elle a contribué à l’originalité de celui-ci ;
- Il appartient à l’interviewée (en l’espèce à la société productrice du film contrefaisant) d’apporter la preuve qu’elle a effectivement participé à la conception, à la préparation ou à la direction des entretiens filmés ou qu’elle avait contribué, d’une façon ou d’une autre, à une forme spécifique et originale de ces derniers (en l’espèce la cour d’appel avait constaté que l’interviewée n’était jamais intervenue dans la conception des entretiens, n’avait jamais donné la moindre directive et s’était limitée à répondre aux question.
Peu importe ici les propos tenus par l’interviewée dans le cadre de ces entretiens : aussi personnels soient-il, ils ne peuvent pas lui conférer la qualité d’auteur « puisque c’est le propre de l’interview que de permettre à la personne interrogée de donner des réponses personnelles aux questions posées ».
Peu importe également « la qualité et l’intérêt des réponses données » qui ne sont pas ici en cause.
La qualité d’autrice de la réalisatrice des interviews est également réaffirmée dès lors qu’il a été constaté que cette dernière :
- A pris seule l’initiative des entretiens filmés ;
- A conçu et élaboré seule le plan et la progression de ces entretiens ;
- A choisi seule les thèmes spécifiques abordés et les questions précises ;
- A procédé à ce choix selon ses connaissances de l’œuvre de l’interviewée ;
- A donné à ces entretiens une tournure, une conception et une impression d’ensemble empreintes de sa personnalité.
Une décision inverse aurait inévitablement fragilisé la situation juridique des nombreuses œuvres documentaires intégrant des entretiens filmés puisqu’elle aurait abouti à mettre en concurrence, pour la qualité d’auteur, le réalisateur ou la réalisatrice des interviews et les personnes interrogées.
Cet arrêt confirme fort logiquement la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel de Paris qui n’avait accepté de reconnaître à Monsieur Léo FERRE la qualité de co-auteur d’une interview qu’après avoir constaté qu’il avait pris part à la conception de l’interview en participant à une séance de préparation et en contribuant à l’élaboration d’un plan sommaire, à la définition des thèmes abordés ainsi qu’à la mise en spectacle des entretiens (CA Paris – Pôle 5 Chambre 2 ; 6 septembre 2013 n°11/02303)