Cour d’appel de Paris, pôle 1 – ch. 2 – 20 janvier 2022
Les fournisseurs d’accès et hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
Mais, selon l’article 6-1. 7. de la LCEN et compte tenu de l’intérêt général attaché à la répression de certains délits, ils doivent concourir à la lutte contre la diffusion de ces délits (apologie des crimes contre l’humanité, provocation à la commission d’actes de terrorisme, incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ainsi que de la pornographie enfantine, incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine).
Plusieurs associations de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie reprochent à Twitter de ne pas satisfaire à ces obligations et ne pas supprimer systématiquement et suffisamment rapidement les messages racistes, antisémites ou homophobes.
Elles envisagent donc d’engager, sur ce fondement, une action en responsabilité civile contre Twitter.
Une telle action nécessite d’obtenir au préalable de Twitter la communication d’un certain nombre d’éléments de preuve.
Avant tout procès au fond, les associations requérantes ont donc sollicité du juge des référés, sur le fondement de l’article 145 du code procédure civile, qu’il ordonne à Twitter la communication des documents et informations permettant d’établir son manque de diligence dans la lutte contre la diffusion des propos haineux.
Le juge des référés a fait droit à cette demande (Ordonnance du 6 juillet 2021) et la Cour d’appel confirme cette décision.
La Cour constate que la demande est justifiée par un motif légitime au sens de l’article 145 (« un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui. »).
La Cour rappelle qu’à ce stade, les associations n’ont pas à démontrer le non-respect de ses obligations par Twitter mais simplement à produire des éléments rendant suffisamment crédibles leurs allégations.
Elles produisent notamment :
- Une étude intitulée « La haine en ligne se propage pendant le confinement » et dont il résulte que sur un total de 1.110 tweets considérés comme manifestement haineux, seuls 126 messages ont été supprimés par Twitter, soit une proportion de 11,4 %.
- Un constat d’huissier portant sur le délai de suppression de tweets injurieux à caractère raciste (« à J + 7 plusieurs tweets signalés n’ont pas été supprimés »: « youpin de merde tout est ta faute », « Bon je m’en vais niquer un youtre à toute », « Bah tu veux que je te dise quoi gros réponds lui c pas moi qui t’as allumé sale feuj » …).
- Des attestations constatant la non-suppression de messages à caractère haineux (« sale juif », « voleur de juif de merde », « sale youpin », « sale feuj », « sale noir », « sale arabe »… ).
La Cour estime qu’il s’agit d’élément factuels rendant crédibles la circonstance que Twitter ne supprimerait pas de manière efficiente les contenus haineux.
Dès lors qu’elles sont proportionnées, les mesures sollicitées sont justifiées en ce qu’elles apparaissent comme nécessaires à la poursuite de la procédure et en ce qu’elles permettront de déterminer comment Twitter lutte contre les infractions en cause.
Sans que cela préjuge de sa responsabilité, le réseau Twitter est donc condamné à communiquer les éléments et informations suivants :
« Tout document administratif, contractuel, technique, ou commercial relatif aux moyens matériels et humains mis en œuvre dans le cadre du service Twitter pour lutter contre la diffusion des infractions d’apologie de crimes contre l’humanité, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que des atteintes à la dignité humaine ».
Le nombre, la localisation, la nationalité, la langue des personnes affectées au traitement des signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services de communication au public en ligne ;
Le nombre de signalements provenant des utilisateurs de la plate-forme française de ses services, en matière d’apologie des crimes contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale, les critères et le nombre des retraits subséquents ;
Le nombre d’informations transmises aux autorités publiques compétentes, en particulier au parquet, en application de l’article 6.-I. 7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) au titre de l’apologie des crimes contre l’humanité et de l’incitation à la haine racial. »
https://www.legalis.net/jurisprudences/cour-dappel-de-paris-pole-1-ch-2-arret-du-20-janvier-2022/